Edito-16/01/2015 L’avenir des compétences culturelles départementales

NACRE2015Invitée par la Nacre aux Rencontres "Réforme territoriale et culture" du 8 janvier 2015, Culture et Départements, par la voix de sa Vice-Présidente Laure Descamps, a fait part de ses constats, de ses propositions et des enjeux culturels départementaux présents et à venir.

Interrogé sur la disparition programmée des départements lors des Assises des Dac en octobre 2014, Emmanuel Constant, Vice-Président Culture du Département de Seine-Saint-Denis, citait le titre d’un ouvrage de Pierre Desproges « Vivons heureux en attendant la mort ! »…. Le temps lui a donné raison et les Départements sont désormais largement réhabilités comme l’a indiqué Olivier Dussopt ce matin. Premièrement, je souhaite vous rassurer sur le fait que les Départements vivent encore et en grande partie plutôt bien malgré le poids croissant des dépenses sociales. Une étude expresse de Culture et Départements réalisée en 2014 montre que la culture représente 1,82% des budgets départementaux en moyenne (cela permet de relativiser quand on songe aux 20% de la ville

de Lyon !). Trois quart d’entre eux affichent une certaine stabilité budgétaire en 2014 dont ¼ par volontarisme politique. Un quart a soit maintenu, soit baissé très légèrement, dans des proportions inférieures à 5% (ce qui ne met pas en péril leur intervention sur le territoire) afin d’amoindrir l’impact de leurs difficultés budgétaires sur le secteur culturel. Il en est de même pour les investissements (malgré des variations annuelles importantes selon les projets immobiliers et un certain attentisme par rapport à la réforme). Face à la pression budgétaire, la majorité des Départements, comme l’Etat et la plupart des collectivités, a donc cherché à limiter les impacts sur leurs budgets culturels.

Le deuxième point est plus inquiétant : beaucoup de gens dans le milieu culturel déplorent la rareté de la parole politique sur la culture comme si celle-ci n’était plus un enjeu. Parallèlement, j’entends des élus regretter l’absence de prise de position politique des acteurs culturels et leur manque de soutien dans des moments importants de réforme et de menace sur leur existence et sur leurs budgets (par exemple lors de la réforme du conseiller territorial, de la suppression de la taxe professionnelle, …). Quand elle a été nommée, Fleur Pellerin a eu ces mots « la culture c’est ce qui plait aux gens, si je peux apporter un peu de cette idée en France, je serai ravie ». J’ai rapporté ces propos lors d’un atelier culture/social en présence d’un artiste qui intervient pourtant dans les quartiers. Sa réaction a été virulente : « Ce n’est pas possible qu’un ministre de la culture dise cela ! ». Cela montre qu’il reste encore pas mal de chemin à faire pour que la culture soit réellement inclusive... Il y a une difficulté à définir et à faire reconnaître la culture de manière élargie et à la sortir d’une image d’entre soi. Beaucoup de gens pensent « ce n’est pas pour moi ». Un artiste avec lequel nous travaillons fréquemment m’indiquait récemment que des participants à un atelier considéraient ne pas avoir de pratique culturelle. En creusant un peu, il s’est rendu compte que certains faisaient de la zumba mais qu’ils ne considéraient pas cela comme une pratique culturelle. Comme J.F.Marguerin, je pense que la politique culturelle a été réduite à la politique artistique. Celle-ci est nécessaire, il faut une politique de soutien à la création, mais elle ne peut être l’unique angle de vue d’une politique culturelle.

Ces exemples traduisent une certaine rupture entre le monde de la culture, le citoyen et le politique. Il nous faut parvenir à renouer ce lien et inviter les artistes à réfléchir sur la société, sur le vivre ensemble, sur l’engagement politique, sur le sens du geste artistique. Il nous faut des artistes qui réfléchissent à la place qu’ils occupent dans la société et assument leur rôle, en tant qu’artiste, vis-à-vis d’elle. Tous ne peuvent pas le faire, mais nous avons besoin que certains se saisissent de ces questions et nous accompagnent.

1 - Petit retour sur l’histoire de la décentralisation culturelle

La loi du 22 juillet 1983 ouvre largement le champ culturel à l’intervention des trois niveaux de collectivités - communes, départements et régions- en précisant que celles-ci "concourent avec l'Etat à l'administration et à l'aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, à la protection de l'environnement et du cadre de vie" (art L 1111.2 CGCT).

En revanche, les lois de décentralisation ont défini très peu de blocs de compétence dans ce domaine. Pour les départements, il y a 2 lois importantes : la loi du 22 juillet 1983 entrée en vigueur au 1er janvier 1986, se traduit par le transfert des archives départementales et des bibliothèques centrales de prêts qui deviendront les BDP (bibliothèques départementales de prêts) en 1992. La loi précise également que les Départements organisent et financent les musées départementaux. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (art.101) prévoit par ailleurs l’adoption par le Conseil Général d’un Schéma départemental de développement des enseignements artistiques et (art 99) des transferts de crédits de la part de l’Etat pour la conservation du patrimoine rural non-protégé.

 

Plusieurs constats peuvent être formulés à ce stade.

  • Le premier est que l’obligation incite mais n’oblige pas réellement. Je pense par exemple au Département des Bouches-du-Rhône qui n’a pas voté de Schéma départemental des enseignements artistiques, ce qui ne l’empêche pas d’avoir une politique très volontariste en matière d’éducation artistique et de lien culture/social. Comme l’a rappelé Emmanuel Constant cet été lors du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (Avignon 17/07/14), la décentralisation culturelle s'est faite sans loi, de manière «libérale» et cet héritage est clairement assumé par les Départements.
  • Deuxième constat, c’est surtout dans le cadre de leurs compétences facultatives (et donc de la clause de compétences générales) que la politique culturelle des Départements s’est rendue visible : par les aides aux communes et aux associations, le soutien aux festivals, à la diffusion de spectacles, à la valorisation du patrimoine, véritable levier de développement touristique des territoires ruraux, … car ils y ont trouvé l’opportunité de valoriser des ressources locales particulières et d’accompagner le développement des territoires et de leur population. Quand je suis arrivée au Département, j’ai d’abord travaillé dans le secteur social. Quand vous travaillez dans le social, vous ne comprenez pas pour quelle raison on vous refuse des créations de postes dans ce champ de compétences – obligatoire et tendu - alors même qu’on en accepte dans des secteurs facultatifs tels que le développement économique, le tourisme ou autre … Puis j’ai eu la chance d’être DRH et d’avoir une vision transversale sur l’ensemble des compétences de la collectivité. J’ai alors compris que la marge de manœuvre politique, la capacité d’intervention, d’adaptation et de dynamique locales se trouvait précisément dans les domaines facultatifs. C’est là – et seulement là – que se font les choix politiques locaux.
  • Troisième constat : cette situation a favorisé un entrelacement des financements publics entre collectivités territoriales et entre collectivités et Etat. Et force est de constater que nous ne savons pas nous réunir autour d’un projet de territoire et co-construire un projet culturel à partir de celui-ci. Nous savons très bien intervenir financièrement auprès d’institutions culturelles dont les missions nous concernent chacun à notre niveau, mais nous manquons d’outils et d’espaces pour échanger et co-construire nos politiques locales en complémentarité.

La première fois que j’ai rencontré une telle possibilité, c’est dans le cadre de la mise en place des contrats territoriaux d’éducation artistique pilotée par la Drac Rhône Alpes. Il faut se rendre compte de ce que c’est, du volontarisme et de la personnalité qu’il faut pour s’affranchir des protocoles, bousculer l’ordre établi, avancer sans tarder. C’est une petite révolution, en interne d’abord comme il l’a évoqué, mais aussi et surtout sur le terrain.

Autour de la table, il y a du monde, beaucoup de monde. Vous avez l’Etat, dans toute sa diversité (Drac, Préfecture, Sous-Préfecture, DDT, DRAAF, DDCS, DASEN…), la Région qui n’interviendra que s’il y a un lycée, le Département qui se cantonnera aux collèges, les communautés de communes qui s’attachent au primaire et qui y voient l’opportunité de financer la réforme des rythmes scolaires... Chacun s’accroche à sa logique. Nous sommes nombreux, avec des objectifs convergents mais des contraintes spécifiques qui rendent difficiles une approche globale et transversale. Il s’agit de passer d’une logique en tuyaux d’orgue, « en silos » comme on dit dans le numérique, à une logique de soutien à une dynamique territoriale de développement culturel. Pour cela, il est nécessaire de faire bouger les lignes, que chacun accepte de se détacher – au moins un peu - de ses compétences obligatoires pour partir des besoins et des ressources de la population locale, quitter une logique de publics cibles prioritaires (même si c’est un début et un point d’appui) et construire à partir du territoire. Le territoire, en l’occurrence l’EPCI, devient l’unité à partir de laquelle on peut construire le projet, ensemble.

La démarche n’est pas toujours bien comprise, non plus, par les acteurs culturels locaux, habitués à une politique de guichet ou de commande publique, dans l’attente d’une reconnaissance institutionnelle et de financements supplémentaires. Différer la question du financement, sortir d’une logique de dispositifs - avec des objectifs et des enveloppes prédéfinis - déstabilise. On a entendu « Il n’y a pas de méthode ! », parce que mettre en mouvement tout ce petit monde pour qu’il élabore ensemble un projet n’est pas habituel.

Cela révèle en tout cas clairement qu’il faut un «impulseur », pour mettre tout le monde autour de la table et ré-interroger la place de chacun au regard des opportunités locales. Cela dépend des régions, des politiques, des personnes. En Rhône-Alpes, c’est l’Etat qui a joué ce rôle dans le cadre de la démarche des CTEAC. En Bretagne, c’est la Région…

En conclusion, à ce stade, on peut dire deux choses :

  • que l’on a besoin de coordination, à partir d’un projet culturel de territoire (et non à partir de disciplines artistiques) ;

  • que les financements croisés sont un gage de diversité culturelle et de coexistence de propositions artistiques variées.

 

2. Alors, demain, la réforme ?

Qu’est ce qui se dessine avec la réforme territoriale ? Quels sont les atouts et les savoir faire des Départements à conserver impérativement ?

Je ne reviendrai pas sur les trois volets de la réforme, présentés très clairement ce matin par Olivier Dussopt. Sur le dernier volet (la loi NOTRe), les débats commencent à peine. Un débat général a eu lieu le 16 décembre. L’examen article par article commence le 13 janvier. A l’heure actuelle, ce projet de loi propose à nouveau la suppression de la clause de compétences générales, au profit d’une compétence partagée dans le domaine de la culture, du sport et dans une certaine mesure du tourisme. La loi du 27 janvier 2014 (Loi MAPTAM) désigne le département comme « chef de file » en matière d’aide sociale, d’autonomie des personnes et de solidarité des territoires (ce qui représente la ½ de son budget de fonctionnement : enfance, PA, PH, RSA, PCH…). Facteur d’autonomie des personnes et vecteur de solidarité sur les territoires, on voit mal comment la culture pourrait être exclue du portefeuille départemental.

Lors des assises des DAC, Michel Vayssié, DGS de Lille, a remarqué que plutôt qu’une compétence partagée, qui renvoie à une approche juridique, il serait plus judicieux de parler d’exercice partagé des compétences qui renvoie à la gouvernance des territoires et permet d’entrer dans une autre logique. Car on l’a vu, c’est bien un problème de gouvernance qui se pose. Aussi, la position de l’association « Culture et Départements » est-elle de préconiser une obligation d’exercice partagé de la compétence culturelle au sein des Conférences territoriales de l’action publique créées par la loi MAPTAM.

Les CTAP seront présidées par le Président de région et l’Etat n’y est, pour l’instant, qu’invité. Elles sont chargées de définir qui fait quoi pour les 6 ans à venir, dans le cadre de conventions territoriales d’exercice d’une compétence, dans un objectif de rationalisation. Tout reposera donc sur la capacité des collectivités publiques à coopérer entre elles et sur l’inscription, à l’agenda de la CTAP, de la compétence culture. A cet égard beaucoup sont inquiets, considérant que la CTAP aura bien d’autres sujets à traiter avant d’aborder la compétence culturelle et que rien ne garantit qu’elle le soit effectivement. C’est pourquoi la Commission des lois du Sénat a adopté le 10 décembre dernier deux amendements proposés par la commission culture enrichissant le projet de loi NOTRe :

  • une responsabilité particulière confiée à la CTAP d’instaurer une commission thématique dédiée à la culture et une autre dédiée au sport.

  • l’obligation pour la CTAP culture de veiller à la continuité des politiques publiques en matière de culture et à leur mise en œuvre équilibrée dans l’ensemble des territoires, afin de s’assurer que les territoires ruraux et péri-urbains ne seront pas négligés et pénalisés.

La CTAP doit être un outil de dialogue permettant aux collectivités territoriales de concilier liberté d’administration et responsabilité collective dans la conduite des politiques culturelles dans un contexte budgétaire sans précédent.

Comme je l’ai dit les débats ne font que commencer et des divergences apparaissent entre Sénateurs et gouvernement sur les principales dispositions du texte, en particulier sur le transfert aux régions des routes, collèges et transports scolaires et sur le transfert systématique des services départementaux d’action sociale aux métropoles.

Les départements ne sont pas encore morts ni même dévitalisés. Manuel Valls a tenu à rassurer sur ce point et a annoncé trois scénarios envisageables :

  • l’intégration des compétences départementales dans les métropoles (comme à Lyon) mais celle-ci ne pourra se faire de manière automatique comme l’a indiqué ce matin O.Dussopt ;
  • le maintien des Départements – notamment ruraux – dans lesquels les communautés de communes n’atteignent pas la masse critique ;
  • les fédérations d’intercommunalités : lorsque le Département comporte des intercommunalités fortes, ses compétences pourraient être assumées par une fédération d’intercommunalités.

 

Quelque soit l’issue, je souhaite attirer votre attention sur ce qu’il faut à tout prix préserver des savoir faire départementaux. Ceux-ci ont en effet su créer de :

  • l’inter-territorialité : ce sont des pouvoirs locaux intermédiaires entre la commune ou la communauté de communes - qui jouent un rôle de proximité - et la région, espace stratégique de développement et d’aménagement du territoire
  • l’inter-sectorialité entre la politique culturelle et les autres politiques publiques, en particulier le social, mais aussi l’éducation, l’environnement, … La majorité des Départements conduit des actions articulant culture et social. Certains vont loin en la matière comme le prouve la démarche des droits culturels. C’est pourquoi je suis surprise par les propos de la Directrice de l’amphithéâtre de Pont de Claix qui ne trouve pas d’écho politique à son désir d’aller vers des personnes qui ne fréquentent pas son établissement. Dans les Départements, je peux vous vous assurer que les élus sont attentifs à cela et que cela fait partie de leurs priorités. Parce que ces actions induisent un renouvellement du travail social, enfermé dans la gestion de dispositifs, qui ne lui permet plus de réaliser un véritable accompagnement des personnes. Et parce que la pratique artistique permet de retrouver sens, identité, confiance en soi, sans lesquels il n’y a pas d’inclusion sociale possible.

En conclusion, puisque le temps presse, je vous rappellerai simplement que les 22 et 29 mars 2015, il y a des élections départementales. Allez voter, mobilisez vous, mobilisez votre entourage, montrez que vous êtes concernés par l’avenir des Départements et de la démocratie. Je sais que c’est compliqué, vous allez voter pour des cantons regroupés, des binômes homme/femme, beaucoup de choses ont changé. Je sais qu’il y a une décrédibilisation du politique, une crise de la représentation, un sentiment d’impuissance collective et individuelle. Dans le secteur social on parle de valoriser le « pouvoir d’agir » des personnes. Ici, c’est de notre propre autonomie dont il est question, de l’autonomie de chacun d’entre nous dans l’exercice de sa propre citoyenneté.

J’ai commencé par Pierre Desproges, je terminerai par lui – d’autant que J.F.Marguerin et A.Bengio ont tous les deux évoqué le père Noël –  Pierre Desproges, donc, a dit : « L’adulte ne croit pas au père Noël. Il vote ! ». Allez voter !

Laure DESCAMPS, Directrice Culture, Sports et Jeunesse du Conseil général de la Drôme, Vice Présidente de Culture et Départements

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