Texte de l'intervention de Culture et Départements à la tribune de la Commission Culture de l'Assemblée des Départements de France à Avignon le 15 juillet 2014
Il ne peut nous avoir échappé que nous sommes dans un contexte politique de nouvelle organisation territoriale de la République sans précédent depuis 1982 et dans un contexte financier de réduction des budgets publics. Le(s) texte(s) (discutés, en cours de discussion, à discuter) présentés au Parlement pose la suppression de la clause de compétence générale pour les Régions et les Départements (et cela dés la publication de la Loi), le renforcement de l'intercommunalité et du rôle notamment des Métropoles (Loi Mapam) et une réduction des compétences des Départements au profit des régions et des métropoles.
Avec deux tentations qui s’offrent à l'ensemble des collectivités: un repli de chacune sur ce que pourrait être ses compétences obligatoires et son périmètre, ce qui favoriserait la concurrence, ou une capacité solidaire à s’inventer de « nouveaux mondes »
plus complémentaires, peut être plus cohérents, dans tous les cas mieux au service des personnes qui habitent nos territoires. Bien évidemment, Culture et Départements défend cette seconde hypothèse car nous sommes convaincus qu’arts et culture sont des espaces privilégiés de l’implication (de la participation) citoyenne des personnes qui habitent nos territoires et que l’entité départementale comme collectivité a joué et joue un rôle culturel pivot dans l’aménagement et l’accompagnement des territoires de proximité.
Les projets de lois en cours de discussion posent un (re)centrage des Départements dans leur rôle de solidarités territoriales et sociales et sur le fait qu'avec le sport (et d'une certaine manière, le tourisme), la culture demeurerait une compétence partagée (hors les musées départementaux dans le cas des Métropoles). Toutefois, certaines limites se font vite jour. Nous n’évoquerons pas ici que les Conseils généraux après 2020 risquent de ne plus exister tout court, mais plutôt que les actions publiques départementales pourraient bien faire l’objet rapidement d’une « vente à la découpe » dont le champ de la culture ne pourra être absent, d’autant plus quand il est indéfini et que ses compétences culturelles demeurent a priori illimitées mais, au regard des moyens financiers, probablement optionnelles.
Quels arguments au sein de nos Départements, pouvons-nous avoir aujourd’hui pour revendiquer l’importance d’une responsabilité culturelle et artistique à défaut de compétences plus établies que les précédentes (BDP, Archives, …) ? D’abord, celui d’une intersection déjà existante entre politiques publiques au bénéfice de la cohésion sociale.
Plus de la moitié des Conseils généraux ont signé aujourd’hui des conventions d’Education artistique et culturelle (1/3 des Régions) qui prennent en compte une généralisation de l’éducation artistique et culturelle en temps scolaire en mettant en œuvre des parcours de l’enfant et du jeune au sein des collèges mais aussi dans beaucoup d’écoles élémentaires, en raison d'une attention spécifique départementale à l’aménagement des rythmes scolaires et aux actions périscolaires par les enseignements et les pratiques artistiques et culturelles et d'une territorialisation de l’action via des contrats loxaux (territoriaux!?) d’éducation artistique et culturelle signés souvent avec des intercommunalités.
Les Départements tant par leur implication dans la proximité que dans leur rôle d’intercesseur entre primaire et secondaire, entre scolaire et jeunesse jouent donc un rôle prépondérant dans l’éducation artistique et culturelle, les « expériences réussies de ces 20 dernières années ayant montré que la voie de la généralisation passe par la territorialisation» (Aurélie Filippetti - Discours du 31 août 2012). Là ou l’Etat par le biais de l’éducation nationale envisage la constitution d’un bloc élémentaire – secondaire collège (au 1er janvier 2015, le cycle 3 couvre CM1, CM2 et 6ème), là où les différents rapports d’évaluation (études Pisa, Pearls, Tips) sur notre système éducatif national ont généré une refondation de l’école inscrivant « l’éducation artistique et culturelle qui comme l'éducation physique et sportive concoure directement à la formation de tous les élèves » (article10), nos Conseils généraux auraient tout intérêt et légitimité à revendiquer leurs responsabilités dans ce domaine, non en excluant les autres collectivités mais en affirmant leur capacité à conduire et piloter dans les territoires une éducation par l’art au-delà de la seule « défense » d’une compétence d’équipements (le bâti des collèges) vu par le seul angle de la rationalité financière qui reste à démontrer !
Arts, culture et action sociale. Les lois sociales de 1988, 1998 et 2005 instaurent l’accès à la culture pour les départements comme objectif national, au même titre que l’accès au logement, à la formation et à l’emploi. Culture et Départements a réalisé en 2013 une étude qui met en lumière que les Départements seraient le niveau de collectivité le mieux à même de porter cette « intersection ». Certes, la loi ne mentionne pas l’implication et le rôle des artistes et leurs capacités créatives à générer inattendu, déplacement, enrichissement et capacité de chacun à reprendre sens et identité dans sa vie. Mais pour ceux et celles qui participent à ces « programmes croisés » arts, culture et actions sociales, tous soulignent combien il est nécessaire aujourd’hui au delà de réparer individuellement (et l’on sait combien cela coûte) d’apprendre à vivre ensemble. D’autant que cette intersection ne peut être isolée. Elle englobe également d’autres champs d’intervention –historiquement la jeunesse et l’éducation mais aussi l’environnement, l’aménagement, l’emploi et peut être considérée comme « renforçant l'efficacité et la complémentarité des politiques obligatoires et optionnelles départementales » (enquête expresse C&D).
Ensuite, parce que ces intersections de politiques départementales sont autant de « fabriques de territoires » avec des enjeux d’échanges dans et entre ces territoires, qui ne peuvent être circonscrits à une compétence culturelle partagée ou à des financements croisés qui ne résolvent ni les moyens consacrés ni les responsabilités.
Nous habitons aujourd’hui dans un territoire, travaillons dans un deuxième, faisons nos courses dans un troisième, avons une activité de loisirs dans un quatrième et échangeons virtuellement dans une cinquième dimension. Alors que l’Europe s’inscrit dans un phénomène métropolitain conduisant à une densification urbaine, la France conserve sa spécificité soit un semis de bourgs, petites et moyennes villes conjuguée avec une occupation quasi-totale du territoire que l’on nomme métropolisation. Voilà qui génère mobilités et flux économiques individuels qui épousent dorénavant des chenaux qui font que les territoires de production de richesse ne sont plus ceux où elle se redistribue. En terme artistique et culturel, les langages artistiques et esthétiques se métissent, les pratiques culturelles mutent et pas uniquement par le numérique, notre égalité démocratique devant l’art et la culture a généré parfois de profondes iniquités, alors que les arts et les cultures auraient pu nous ouvrir à une vision sensible du monde comme élément fondamentalement constitutif de la personne, autonome, responsable, en capacité à s’émanciper et à créer un vécu collectif et donc citoyen. Des assemblages inter personnels sont à réinventer entre artistes, opérateurs culturels, habitants, élus de nos territoires ruraux, rurbains, périurbains ou rubains, des articulations autres et nouvelles sont à générer entre ville et campagne, entre métropoles et territoires ruraux. Une inter territorialité (et une « inter gouvernementabilité ») est à construire dans laquelle les Départements ont un rôle culturel prépondérant à jouer entre de vastes régions d’aménageurs spatiaux et économiques et des intercommunalités redéfinissant leurs contours territoriaux qui ne peuvent et ne doivent les enfermer.
D’autant que les pratiques culturelles évoluent, les esthétiques se croisent et les technologies transforment les rapports à l’art ainsi que les valeurs et droits qui y sont attachés. Reconnaître la place des personnes ne peut donc pas se limiter à accéder à une offre culturelle ou à des équipements qu'ils soient intercommunaux, métropolitains voire de labels nationaux. Au-delà de notre droit constitutionnel à la culture, l’égale dignité des expressions culturelles n'est pas sans renvoyer à « qu’est qui fait culture dans un territoire ». L’accès aux Droits de l’Homme demande, au-delà d’un droit à la culture, de reconnaître les droits culturels de chaque personne afin de garantir non son identité mais sa liberté à s’identifier et d'affirmer sa capacité à s’émanciper, à se construire et à être en capacité de vivre sa citoyenneté.
Et reconnaître les personnes, c’est également reconnaître ceux qui y développent une démarche artistique. Les artistes présents, qu’ils soient invités, associés ou implantés, issus ou habitants du (des) territoire(s) sont ressources pour un territoire. Si la présence artistique ne modifie donc pas le territoire physique, elle s’évertue à en redéfinir les contours sociaux et économiques. Dans l’étude expresse consacrée à l’aide à la création artistique par les Conseils généraux du printemps 2014, l’on voit clairement se dessiner le soutien à des équipes artistiques ancrées dans des territoires et la nécessité de solidariser les réseaux d'acteurs et les chaînes de valeurs permettant à des créations non seulement de voir le jour (aides aux projets artistiques, coproductions, conventions, résidences) mais également de rencontrer les publics et les personnes qui habitent leur territoire. Et quoi de plus évident alors que d’engager des coopérations interterritoriales, artistiques et culturelles, factrices d’échanges, d’enrichissement et plus prosaïquement de mobilité sociale, d’économie et d’emplois qui rappelons le, ne sont pas délocalisables.
La loi d'orientation territoriale de la République souhaite apporter de la rationalité (!) avec des compétences mieux définies. A Culture et Départements, nous souhaiterions que ces différentes lois apportent surtout du « souffle » ! Et à ce titre, nos entités départementales demeurent aujourd’hui des acteurs majeurs de l’innovation culturelle et artistique au service de solidarités sociales et territoriales et le niveau d’intercession le plus pertinent pour mener des politiques de proximité et de solidarité (retrouver ici l’appel pour une démocratie de proximité signé par Culture et Départements).
Plus que de briguer des compétences, segments de l’intervention publique, revendiquons donc plus lisiblement et fortement une éthique de la responsabilité.
François Pouthier