Politiques publiques de la culture

Bouët de sauvetage pour relancer le partenariat culturel Etat/Collectivités

Si l'on excepte les nombreuses mesures  concernant l'optimisation du fonctionnement interne des services de l'Etat eux-mêmes, deux propositions fortes du Rapport de Jérôme Bouët appellent l'attention concernant les collectivités territoriales : le copilotage avec des grandes villes et des Régions (cela existe déjà entre l'Etat et les Régions dans certains domaines, tels que les fonds d'acquisition en matière de musées et d'art contemporain, les fonds d'aide à la création cinématographique, etc.) ainsi que la réactivation de conventions territoriales, notamment avec des territoires moins favorisés.

Deux propositions qui génèrent quatre observations … :

  • le copilotage ne permettra un « partenariat d'égal à égal » que tout autant qu'il y ait volonté de la part de l'Etat de  rompre avec cette sorte de tutelle rampante que l'on constate trop souvent encore, consistant à définir, consulter parfois... puis à prendre finalement  des décisions tout seul  (cf. certaines nominations récentes de directeurs d'équipements labellisés et cofinancés par les collectivités) ;

  • l'idée de la contractualisation n'est pas nouvelle (certains diront que c'est du « déjà vu »), mais elle avait quasiment disparu ces dernières années, tant le Ministère s'est concentré sur les questions liées à Hadopi, à la numérisation, aux industries culturelles... et à sa propre organisation (nouvel organigramme, autonomie de gestion des équipements publics nationaux) ;

  • Ces propositions sont des outils, à prendre ni plus ni moins comme des outils. Ils ne s'avéreront pertinents que s'ils sont au service d'une réelle ambition, qui d'une part soit portée par des moyens financiers et humains permettant d'innover, et qui d'autre part corresponde à des besoins exprimés unanimement par les collectivités et leurs services culturels, les plus en prise avec les questions territoriales ;

  • Mais ce qui « plombe » ce Rapport à la base, ce sont d'une part les incertitudes qui pèsent sur les budgets de l'Etat et des collectivités (cf. les conséquences des effets de la réforme de la fiscalité locale, notamment pour les Régions), d'autre part  les répercussions de la Réforme territoriale.

 

A tel point que notre Ministre de la Culture ne souhaite pas rendre public ce Rapport tout de suite ni retenir éventuellement certaines de ses propositions. Il ne le fera qu'au printemps, après la sortie du Rapport commandé par le Président de la République le 13 décembre 2010 à M. Jean-Jacques de Peretti, Maire de Sarlat, à qui il a confié une mission sur les conditions précises d'élaboration des futurs « schémas de répartition des compétences et de mutualisation des services »  entre les Conseils régionaux et les Conseils généraux : des schémas prévus dans la loi portant réforme territoriale, qui pourront être élaborés à compter de 2014.

Entre temps, un autre Rapport, d'origine sénatoriale celui-là, vient de sortir sur cette répartition des compétences, prolongeant le rapport Belot : il émane d'Antoine Lefèvre, sénateur de l'Aisne. Il constate que rien n'est clair et propose des pistes :

 
 
 

1/ consacrer le principe de compétences obligatoires mais partageables (= qu'elles ne le soient pas à titre exclusif) ;

2/ examiner comment ces compétences pourront effectivement être partagées au moyen d'outils contractuels (y compris autoriser des schémas de partage de compétences du département et des communes - ou EPCI) ;

3/ créer une procédure de constat de carence en cas d'inertie de la collectivité habilitée à exercer une compétence ;

4/ assurer que le partage des compétences soit effectivement respecté (si les collectivités n'arrivent pas à se mettre d'accord), par un « contrôle de légalité territorial » exercé par le juge administratif. Pour la culture, la décision a déjà été prise : la compétence sera partagée mais ses limites demeurent floues.

 
 
 

… et trois commentaires préalables

Le Rapport de Jérôme Bouët insiste beaucoup sur l'échelon  métropolitain par rapport à d'autres intercommunalités de moindre envergure. Cela, alors que le paradigme du développement territorial s’est infléchi, les migrations (rotation des populations, cycle de vie des ménages, migrations de nature sociale ou d’agrément plus que migrations économiques) ayant inversé les soldes migratoires et, pour la première fois depuis la Révolution industrielle, renversé la relation ville-campagne. Si le rapport fait mention de l’évolution de ces territoires indiquant que malgré « une croissance qui s’accélère davantage que celle des territoires urbanisés de 2003 à 2008 », il note également « qu’aucun processus de travail particulier n’a été mis en œuvre avant le lancement du plan d’action en faveur du monde rural au printemps 2010 ». 
Du coup, à la satisfaction de voir la (ré)affirmation d’un partenariat plus paritaire avec les collectivités territoriales, l’on ne peut être que déçu de ne le voir centré que sur les grandes métropoles. D’autant que les compétences de ces nouvelles métropoles vont accroître les disparités entre les Conseils généraux sans pour autant les supprimer : il y aura désormais les Départements « sans métropole » qui continueront à jouer un rôle dans un aménagement cohérent du territoire ... et ceux « avec métropole » qui seront réduits, principalement sur des zones rurales, à un rôle de guichet (missions sociales notamment). Qui a dit que la Réforme territoriale allait simplifier le « millefeuille » ?

Le Rapport ne fait également que brèves mentions d’une approche plus transversale des politiques publiques alors que nombre de collectivités se sont engagées dans des procédures de développement durable et d’agendas 21. Cette dimension, restreinte au seul « renforcement de l’action interministérielle » et au souhait de voir réapparaître la culture dans les politiques de la ville au sein des Cucs, ne peut que renforcer un nouvel empilage, comme le souligne Guy Saez (La Scène N°59, La réforme territoriale fera des perdants), celui des coopérations sectorielles devenues peu lisibles, sans parler de problèmes de frontière entre des compétences attribuées à des collectivités différentes : un système de navette par autobus entre un centre-ville et un monument historique isolé relève-t-il de la compétence transport, tourisme ou culture ?

Enfin, ce Rapport, dans la mesure où son auteur a dû jongler avec le calendrier de la Réforme territoriale qui n'a pas fini d'être précisée, a pâti de l'agenda politique. Si nombre de ces propositions sont pertinentes en soi, leurs applications dépendent pour une large part aussi du contexte général. Je ne prendrai qu'un exemple : la mise en œuvre des projets d'éducation artistique et culturelle, priorité affirmée du Ministère de la culture, priorité largement reprise dans le Rapport Bouët. Comment poursuivre une telle politique alors que du côté de l'Education nationale certains Inspecteurs d'Académie, soumis à des choix drastiques de réduction de personnels, suppriment actuellement le poste fondamental de l'enseignant chargé de mission culture, celui qui expertise et accompagne les projets culturels au sein des collèges d'un département, et sans la validation duquel la DRAC ne pourra financer certaines actions ?

 

Ce Rapport a le mérite d'exister, c'est une pierre à l'édifice. Mais celui-ci est si délabré par ailleurs que je crains un peu qu'une seule pierre, si philosophale soit-elle, ne suffise à le conforter !

François Deschamps, avec la collaboration de François Pouthier
Président de Culture & Départements
Membre du CLIDAC
 

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