Politiques publiques de la culture

La médiation artistique et culturelle de sites patrimoniaux

 
 
 

Il est important de laisser à voir, de laisser à entendre, de laisser poindre la curiosité des visiteurs d’un site patrimonial… peut-être autant que de vouloir transmettre à marche forcée la quintessence d’un savoir savant. En tout cas il est judicieux de multiplier les formes pour empêcher la monotonie. Mais pas pour se doter d’un décor, pas forcément dans une vision utilitariste d’animation du patrimoine.

Avec mon équipe, nous mettons en œuvre autour de sites patrimoniaux en Haute-Savoie, notamment deux d’entre eux : à Taninges, la Chartreuse de Mélan (13ème s.) et notamment son cloître du 16ème siècle. Et à Clermont-en-Genevois, un château Renaissance unique en son genre en pays de

Savoie. Au-delà de visites historiques plutôt classiques, nous avons expérimenté des visites circassiennes, chorégraphiées, qui allient le talent de guides du patrimoine à celui d’artistes professionnels. Ainsi avons-nous demandé il y a quelque temps à la Compagnie Pascoli d’investir la Chartreuse de Mélan pour les Journées du patrimoine en y développant un « parcours d’écritures chorégraphiques ». Cette compagnie grenobloise tente de croiser plusieurs univers (chorégraphique, musicaux, plastique, architecturaux / historiques, actuels…), En organisant des répétitions et des rencontres publiques dès les prémices du travail, dans le cadre d’une petite résidence, elle interroge la place de l’acte artistique. Habiter un temps dans ces lieux du patrimoine, dit Anne-Marie Pascoli, c’est en quelque sorte faire sens, donner du sens à là où j’habite, c'est-à-dire là où ça danse et pense…dans le même mouvement.C’est une démarche qui questionne et qui propose des rapports aux publics différents de ceux rencontrés dans un contexte de diffusion culturelle classique. Il s’agit bien, par cette « présence des artistes » dans les lieux, d’ouvrir le sens et la portée de la création dans le souci de « l’être ensemble ». Ces rencontres sensibles tissent des liens avec des publics (fidèles ou bien nouveaux), qui viennent… ou ne viennent pas « spécialement» pour voir du spectacle vivant,… mais où il s’en invente.

C’est aussi une expérience qui crée des territoires momentanés, où chacun communique avec l’autre dans son temps propre et la singularité de son espace, avec cependant un fil conducteur qui s’impose là, celui de l’acte artistique. De cette proximité naît l’implication, l’expérience concrète de la différence, de la ressemblance. Ces petites résidences sont, pour Anne-Marie Pascoli, comme l’éloge du fragment (des fragments essentiels au vivre), l’éloge de la scène qui vient pour elle-même, qui s’invente, qui s’offre ces mises en rencontres. Des rencontres si nécessaires au cheminement de la pensée et si difficiles à trouver aujourd’hui…Au Château de Clermont, nous avons organisé cet été des visites dansées, en préfiguration d’un nouveau projet scientifique et culturel. Il s’inscrit dans le cadre d’un projet Interreg avec le Val d’Aoste, intitulé « Traditions actuelles ». Ce projet a pour but notamment de favoriser l’appropriation et la transmission de ce patrimoine. Et d’améliorer la relation souvent équivoque des villageois avec « leur » château devenu site départemental et dévolu au spectacle vivant. Au cours de ces visites, le visiteur cet été a donc alterné entre des moments de visite historique et architecturale et des moments de création in situ. Ici, ce sont les danseurs acrobatiques de la Compagnie Retouramont qui ont pris comme source d’inspiration la matière architecturale du château et investi portes, fenêtres et murs, rendant possible la sensation de vertige qui anime leur écriture chorégraphique. Ils explorent chorégraphiquement une façade, la cour, un escalier…en adéquation avec l’environnement. Le mouvement révèle les sens du lieu, son caractère, ses volumes. La danse prend naissance au plus près de la matière. Elle accomplit le rêve du flâneur qui est happé par la hauteur des murs, qui caresse du regard un paysage à perte de vue. Cette relation, du corps à la pierre, du corps à l’architecture, du corps à la nature, pose la question fondamentale du point de vue : le spectateur est donc invité à une nouvelle histoire du lieu, qui intègre les notions, d’enfoncement dans le sol, de verticalité, d’ascension et de chute…

Il est invité à sentir un lieu, à l’éprouver, il se passe quelque chose entre le réel et le merveilleux, ce qu’on pourrait appeler une émotion patrimoniale. Détail important : les artistes n’interprètent pas. En s’appuyant sur l’histoire, ils expérimentent un acte neuf, actuel. Car un artiste parle avant tout pour lui, et ses exigences ne sont pas forcément les mêmes que celles d’un guide du patrimoine. Mais c’est du donnant-donnant, et il peut arriver qu’il y ait interpénétration des deux discours, historique et artistique.

 

En conclusion, je voudrais évoquer Ariane Mnouchkine. Dans le beau documentaire qu’a réalisé Catherine Vilpoux et qu’a diffusé ARTE jeudi dernier. Elle parle à un moment de son film « Molière », en expliquant que c’aurait été un mensonge que de vouloir faire une reconstitution historique. Elle a préféré apporté un regard, des images… pour éclairer, éclaircir… pour ré enchanter le monde, redonner du désir et de l’espoir…

 

Chacun son langage. Dans nos sites, nous essayons d’allier celui d’artistes à celui d’animateurs du patrimoine, en pensant que tous deux apportent quelque chose de singulier à « l’esprit du lieu ».

 
 

François Deschamp

Partenariat

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