Politiques publiques de la culture

Traditions et transmission : de retour du Val d'Aoste

 
Dans le cadre d'un projet européen transfrontalier que je conduis avec d'autres partenaires, notamment le Réseau Empreintes, j'ai assisté dans la Vallée d'Aoste à un colloque intitulé « Le défi de la médiation culturelles dans les Alpes, pour une restitution auprès des populations locales ».
 

Cadres territoriaux, responsables de musées et artistes (conteuse, musicien et collecteur de musique traditionnelle, programmeur de spectacles dans des lieux patrimoniaux), issus de Savoie, de Haute-Savoie et de Suisse, nous étions venus rencontrer nos collègues de cette région autonome d'Italie fiers de

leurs racines et de leurs spécificités culturelles et linguistiques (le français, mais aussi le patois franco-provençal, au cœur de leur culture). Des personnes dont le sens de l'accueil (et de la bonne chère !) n'est plus à démontrer, dans un paysage alpin remarquable où le respect du patrimoine culturel fait plaisir à voir (et à visiter).

 
L'atelier auquel j'ai participé portait sur « traditions et transmission ». Il était animé par Saverio Favre, du BREL, et Jean Guibal, Directeur des affaires culturelles et du patrimoine du Conseil général de l'Isère.
 

Ce qui fait patrimoine (les traditions orales, les musiques et les danses, les coutumes, les savoir-faire, les représentations sociales...) représente un domaine aussi vaste qu'insaisissable. Est traditionnel a priori ce qu'on n'a pas inventé et que l'on reproduit, en général après une génération. Pour se créer des racines, une identité, les gens sont libres de reconnaitre quelque chose du passé comme une tradition : ce ne sont pas les scientifiques qui peuvent imposer quoi que ce soit en la matière, même si le scientifique (ethnologue..) a un regard et choisit quelle tradition est digne (ou moins digne) d'être étudiée selon lui. Précisons que certaines traditions sont à abolir, étant contraires aux droits de l'homme (l'excision, le bizutage...). D'autres, avec leurs relents nostalgiques d'un passé idéalisé, sont pesantes et bloquent des évolutions (l'histoire contraint le présent), tandis qu'a contrario il faudrait avoir conscience de ce que représente la perte de certaines traditions (notamment linguistiques). Certains rites qui avaient diminué avec l'affaiblissement des pratiques religieuses réapparaissent aujourd'hui sous forme de nouveaux rituels civils (codes collectifs). Ex : baptêmes et mariages républicains, rituels autour de l'incinération...

 
 

La collecte et la protection (filmer, enregistrer, écrire) pose inévitablement la question du pourquoi (ex : l'optique d'une transmission à la génération suivante) et du comment, donc le problème du tri (conserver c'est toujours choisir). Cela doit toujours s'envisager avec, en toile de fond, l'idée de la restitution que l'on voudra/pourra faire. Dans le passé, les musées se sont souvent obnubilés sur des objets-fétiche plutôt que de les considérer comme des objets-témoins (on considère alors qu'une collection est un tout englobant objets, enregistrements sonores, films, photos, ouvrages).

 
Qu'en est-il de « l'authenticité ? C'est une construction sociale, rien n'est « purement » authentique (la tradition, ce serait ce qui reste quand on a enlevé tout ce qui a changé ?). Il y a en fait des authenticités différentes. La garantie de l'authenticité ne veut pas dire que seul l'acteur direct peut en être le garant ; même le témoin direct ne garantit pas forcément l'authenticité. On a même des cas où il s'agit plutôt de dégénérescence (« dysneylisation », folklore, conservatisme).
 

Toutes les traditions humaines évoluent, aucune ne devrait être figée, mais au contraire rester vivante et ancrée sur le territoire. Certains métiers d'art traditionnels, permettant de produire des produits emprunts « d'authenticité » font l'objet de garanties par des organismes certificateurs (exemple, la SEMA ou les Compagnons du Tour de France). Mais la création de labels pour valoriser des manières de vivre peut aussi provoquer des effets pervers en figeant les choses (ex : le tango, inscrit par l'Unesco sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l'humanité).

 

Il y a une « mode » du traditionnel, cela peut être considéré comme valorisant d'être ancien. Est-ce lié à la peur d'un monde qui change de plus en plus vite ? Les classes paysannes, populaires, semblent paradoxalement s'approprier plus vite les outils nouveaux s'ils leur sont utiles (tronçonneuse, congélateur...) que les classes aisées, souvent soucieuses de respecter les traditions.

 
On observe aussi que les gens prônent le traditionnel pour ce qui est visible (les façades extérieures d'une maison, par exemple), et du fonctionnel et du moderne à l'intérieur.
 

On pourrait citer comme exemple de traditions à la mode le « chalet savoyard » (terme exogène, on disait l'alpage dans les Alpes, et il devient de plus en plus banalisé et d'importation autrichienne !), ou encore les meubles inspirés des meubles d'époque... D'autres traditions sont plus ou moins inventées ou réinventées, d'autant mieux qu'elles dérivent de traditions plus anciennes : la tartiflette (le terme ne date que des années 80 même si la recette s'appuie sur une tradition utilisant le reblochon), la fête de la musique (qui correspond à la période du solstice d'été), l'Halloween (origine celtique), etc. D'autres traditions ont été mélangées (au départ la grolle, transmise en héritage au fils ainé, c'était différent de « la coupe de l'amitié », autre symbole de convivialité).

 

La transmission - elle passe par divers canaux :

 

- dans une approche culturelle, par le musée (outil de connaissance scientifique et didactique), avec de nouveaux outils à investir (nouvelles technologies, environnements sensoriels...);

 

- dans une approche militante, avec les associations ;

 
- par la famille (la volonté de perpétuer une langue) et l'éducation (qualifier l'offre, c'est bien, mais il faut motiver la demande...on n'enseigne pas suffisamment l'architecture, l'ethnologie...ni à hiérarchiser les flots d'information, le bruit » perpétuel qui nous entoure).
 

 

Les politiques publiques peuvent accompagner les pratiques culturelles encore existantes, en ayant soin de veiller à ce que la préservation des racines, des identitésaille toujours de pair avec la préservation de la diversité.

 

François Deschamps