Edito - 15/10/09

La réforme territoriale : une mise en danger des politiques culturelles

L’avant-projet de loi-cadre sur la réforme territoriale qui a été rendu public mi-juillet propose la suppression de la clause générale de compétences pour les départements et les régions. Elle ménage toutefois des possibilités de partage pour certaines compétences. Méconnaissant les conclusions du Rapport Belot qui plaidait en faveur du maintien des compétences partagées en matière culturelle, la culture serait exclue de ces exceptions.

Cet avant-projet remet en cause un demi-siècle de construction de la décentralisation culturelle en France et surtout porte atteinte à la réalité des politiques culturelles qui sont basées essentiellement sur le partenariat entre les différents niveaux de collectivités territoriales. La clause générale de compétence, confortée par la loi de décentralisation de juillet 2003 qui consacre l’autonomie et la libre administration des régions, des départements, des communes et leur reconnaît la faculté d’agir dans les différents domaines culturels, a été un formidable levier pour l’ouverture du champ des possibles et un accélérateur pour leur engagement en faveur de la culture.

Les collectivités territoriales ne se sont privées de s’emparer de cette faculté pour bâtir des politiques culturelles d’une grande diversité, en prenant en compte la particularité des structurations géographique, sociale, historique des espaces de vie sur lesquels elles interviennent. Elles ont ainsi donné un sens éthique et politique à leurs actions, et abordé la culture comme une dimension de l’action publique, en se dotant d’une vision transversale qui intègre les politiques conduites en matière sociale, éducative, économique, territoriale, etc. Elles ont su aussi mettre en avant le renouveau des langages artistiques et repérer les nouvelles formes d’expression culturelle. Fortes de cette liberté, les collectivités territoriales ont construit de vraies politiques culturelles, souvent originales, foisonnantes d’initiatives, en intelligence avec leurs autres partenaires publics et arrimées à l’inventivité de leurs territoires. Ce sont aussi elles qui assument une lourde responsabilité en matière d'accessibilité et de transmission culturelle que ce soit dans le domaine du livre et de la lecture, de l’éducation artistique et culturelle en milieu scolaire, du patrimoine, du spectacle vivant, des arts visuels, des cultures régionales et des enseignements artistiques.

Pour accompagner la construction de ces politiques, elles n’ont pas ménagé leurs efforts budgétaires puisque aujourd’hui les dépenses culturelles assumées par les collectivités territoriales sont trois fois plus élevées que celles réalisées par le Ministère de la Culture. En 2006, ces dépenses s'élevaient à 7 Milliards d'euros l'ensemble des collectivités locales (d'après "les dépenses culturelles des CL en 2006" par J.C Delvainquière et B. Dietsch) dont 1,3 Milliard d'euros pour les départements. Ce développement budgétaire pourrait aussi être remis en question par la réforme de la fiscalité locale proposée par le gouvernement pour le budget 2010 qui conduit à une dégradation importante de l'autonomie fiscale directe des départements et des régions.

Les approches actuelles de la clarification des compétences se fondent sur une vision très restrictive et méconnaissent les dynamiques profondes qui animent les politiques culturelles territoriales alors que se sont bien elles qui donnent un cap et un sens à la multiplicité des équipements, services et actions développés sur nos territoires par tous les acteurs culturels. Ainsi dans le cadre de la construction et de la mise en œuvre de politiques culturelles le premier travail consiste toujours à expliciter l’intérêt général. La tentation d’une segmentation des secteurs culturels qui se lit dans certaines réflexions nationales ne manquerait pas de réintroduire des cloisonnements entre les domaines culturels alors que leur actualité serait plutôt à la porosité, de conduire à une fragmentation des espaces en micro-territoires de projets particuliers et remettre en cause toutes les formes de socialisation de l’action publique culturelle qui ont été recherchées ces dernières années à travers une connexion des enjeux culturels aux enjeux sociaux, économiques, territoriaux, etc. La manière dont les politiques culturelles s’élaborent dorénavant au niveau des collectivités territoriales est certes complexe mais elle se manifeste de plus en plus sous forme d'exercices de démocratie. Ces politiques, véritablement ancrées et en lien avec leurs territoires, empruntent souvent la voie de la co-construction et du dialogue avec le milieu culturel, de la consultation des habitants, des échanges entre les partenaires publics qui sont autant de dimensions explorées pour faire aboutir un projet.

Qu’en sera-t-il à l’avenir alors que l’on connaît le besoin de renouvellement permanent des politiques publiques, que la reconnaissance de la place de la culture et de l’art dans le projet de société se fait pressante, que les espaces d’expression de la diversité culturelle se multiplient et que des secteurs artistiques porteurs de nouvelles formes de créativité s’affirment ? Clarifier les compétences tel que le propose la loi aujourd'hui, se serait accepter le renoncement, pour partie au moins, à cet intense écheveau de relations partenariales qui s’est imposé comme le cadre naturel de la conduite des politiques culturelles et de leurs financements.

Ces partenariats sont stimulants pour inscrire les projets dans des logiques d’ensemble, garantir leur autonomie artistique ou scientifique, assurer leur pérennité et donner de la cohérence aux accompagnements financiers. Ils sont constructifs car ils permettent d’ouvrir l’espace d’action des acteurs culturels, de rendre faisables les projets les plus divers par le mécanisme des financements croisés, qui sont autant de moment d’articulation entre les dynamiques locales, départementales, régionales et nationales. Ils sont indispensable à l'émulation créatrice et à l’émergence de projets et pour inciter à la prise en compte du fait culturel des territoires et des populations éloignés de la culture.

Le dialogue, la concertation et le partenariat ont pris la place qu’ils occupent dorénavant, car cela répond à une nécessité. Dans la perspective d’une nouvelle étape de la démocratisation culturelle, tout l’enjeu consiste à penser les différents champs et les différentes fonctions culturelles les uns par rapport aux autres et à les rendre perméables à leur environnement et actifs dans leur participation à la qualité du vivre ensemble. Les avancées sur ces problématiques ne peuvent pas se forger de manière simpliste et unilatérale. Elles ne peuvent naître qu’à la jonction des propositions en présence et des préoccupations qui s’expriment sur un territoire donné.

Complémentarité, coopération, mise en réseau, expérimentation, mutualisation, gouvernance, deviennent ainsi des axes de travail incontournables pour mobiliser toutes les énergies. Plutôt que de lutter contre les effets de complexité, on voit donc qu’il faut plutôt apprendre à en apprivoiser les principes dans des politiques culturelles renouvelées.

Pour toutes ces raisons nous pensons que l’adoption d’un principe de spécificité de compétence par niveau de collectivité n’est aucunement de nature à résoudre les difficultés qui s’expriment dans le domaine de la culture. Bien au contraire, à l’heure où les questions culturelles mériteraient de réinvestir l’espace public, c’est plutôt une intensification des relations et des coopérations et une nouvelle gouvernance de leur organisation entre les collectivités territoriales, et avec l’Etat, qui serait nécessaire.

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