Aménagement du territoire

Portrait de l'artiste en passeur de territoire

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La place de l'artiste dans les projets de territoire

En octobre 2009, Culture et Départements s’est associé à la Fédération des Parcs Naturels Régionaux, le Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne et l’Institut Départemental de Développement Artistique et Culturel de la Gironde pour une rencontre au Teich (33) réunissant plus de 150 participants autour de « la place de l’artiste dans les projets de territoire ». Rapide synthèse et compte rendu complet téléchargeable en fin d’article.

Décentralisation, intercommunalités, syndicats mixtes de Pays oeuvrent aujourd’hui pour accompagner la création de territoire(1) en charge d’un développement durable. L’émergence de ces «nouveaux territoires» tant spatiaux que sociaux, ont influé sur la hiérarchie des priorités culturelles. A ce titre, Les Parcs naturels régionaux ont fait corps, dés l’origine, avec la notion de développement et d’aménagement du territoire, notion dans laquelle la dimension culturelle était affirmée avec force en étant « au cœur du concept qui a présidé à leur création (2)». Les actions culturelles emblématiques menées, « des actions (…) ancrées dans un territoire et conçues pour y apporter un souffle nouveau ; des actions qui facilitent la rencontre entre une

culture du dedans et une culture du dehors, entre des personnes vivants sur le territoire et des artistes qui n’en sont pas forcément issus, entre la culture locale et la culture universelle (… )» (3) ont ainsi privilégier le lien entre culture, habitants et territoire.

Lors de la Rencontre consacrée à « La place de l’artiste dans les projets de territoire », Marc Gastambide, Directeur de la Fédération des Parcs, souligne en préalable que « La culture et les artistes qui la font vivre, créent le lien entre le territoire et le résident, un lien citoyen, un lien social ». Au-delà des passeurs de territoire, le médiateur territorial ou le conservateur du patrimoine, apparaît donc un nouvel acteur : l’artiste. Mais qu’en est-il réellement de leur place, tant celle de ceux qui y vivent au jour le jour comme celle de ceux qui peuvent être amenées à y résider plus ponctuellement ? En quoi leur présence, leur implication, leur rencontre avec le territoire et la population, peut être un « marqueur » privilégiant le partage et affirmant la force de la diversité ? Car si un projet artistique se nourrit d’une population au travers de ses cultures, un projet de territoire peut se nourrir des artistes au travers de leurs singularités qui est leur force. Ce temps d’échange et de rencontre a cherché à approfondir les différents types de lien qui unissent artistes et territoires.

 

L’artiste résident du territoire. Si l’artiste, du fait de son statut et de son métier, est par nature itinérant, il n’est pas pour autant déterritorialisé. Pourtant, peu de territoires s’appuient sur les forces artistiques résidentes de leur territoire. Il est vrai que ces artistes, bien que vivants au cœur d’un territoire, ne revendiquent que peu leur implication, plus concentrés et concernés par leur capacité à investir les lieux de culture de l’institution culturelle, avant tout urbains et à œuvrer à une reconnaissance nationale. Pour autant, vivant au cœur d’un Parc, les artistes résidents qu’ils soient issus ou habitants du territoire ne peuvent pas ne pas s’en imprégner car ce qui se dessine dans une inscription territoriale, ce n’est pas tant la définition du lieu que le désir du lien, celui qui transforme l’artiste résident en citoyen. Même si elle a tardé, cette présence artistique est aujourd’hui reconnue par les territoires et revendiquée par les artistes; preuve en sont les annuaires, les expositions et installations, les projets et les communications réalisés pour mieux faire connaître les forces artistiques en présence.

A cela deux raisons majeures peuvent être identifiées : la première concerne les artistes car, après une vingtaine d’années à évoluer « dans un cercle restreint de spécialistes nourris de références coupées de leurs sources contemporaines, l’art se stérilise. Il cesse d’être un langage utilisé par la collectivité pour se dire à elle-même ce que les mots seuls sont impuissants à dire. Il devient objet de consommation et de distinction (4)». Et nombreux ont été les artistes à rechercher, dans leur langage créatif, une nouvelle nourriture et implication au plus près des populations, en étant progressivement moins « autocentrée sur le champ culturel et décentrés des autres mondes sociaux» (5). Au-delà de l’art pour l’art et du mythe de sa reconnaissance, nombre d’artistes ont choisi de se recentrer sur le rapport aux habitants avant de se concentrer sur les conditions du déploiement de l’œuvre. C’est le sens des actions du Collectif « Ca-I », en Béarn, invité lors de ces rencontres : « La volonté du collectif est d'être totalement intégré et impliqué autour de l'héritage des traditions culturelles locales dont nous nous servons pour raviver la mémoire collective, héritage qui prend toute sa dimension avec le filtre des influences contemporaines et le croisement entre les genres ».

La seconde raison touche aux territoires eux-mêmes car les artistes contribuent d’une part à nourrir une conscience de territoire complémentaire à une culture du divertissement, d’autre part sont appelés à jouer un rôle contributif dans la distinction et l’identité territoriale (6), tout autant interne en terme social qu’externe en tant qu’élément d’attractivité (7), de différenciation que de développement. « Au sein d’une économie dite mondialisée, les territoires cherchent à être attractifs, compétitifs et ils adoptent diverses stratégies (…) par sa démarche artistique, l’artiste  peut révéler l’âme d’un lieu, son identité et son histoire » indique ainsi Samuel Périgois (Observatoire des Politiques Culturelles) lors du cadrage inaugural de la rencontre.

En l’espace de quelques années, les territoires et les artistes y résidant sont donc passés de l’ignorance mutuelle à l’implication partagée. Cette volte face n’est pas sans interroger l’artiste qui après avoir méconnu le territoire, peut parfois s’y enfermer : « le projet (…) peut évoquer l’isolement des populations, transmettre une tradition, (…) mais il doit surtout trouver et faire le lien entre l’universel et le local. C’est dans cette double interaction que l’artiste pose les conditions de sa présence », indique Thierry Ambrosini (DAC Pyrénées Atlantiques). Elle n’est pas non plus sans interroger le(s) pouvoir(s) public(s) : « un enjeu est à instaurer entre le local (les habitants), le passeur (l’artiste) et les collectivités publiques garantes des enjeux et des objectifs. C’est ainsi que peut s’établir une responsabilité croisée et partagée », poursuit-il, soit une autre manière de co-construire et de « gouverner ».

 

L’artiste en résidence dans le territoire. Tout à la fois assemblage de lieux dans un espace géographique et de ceux qui y vivent, le territoire est un espace culturel et symbolique, façonné par ceux qui l’éprouvent au quotidien, éclairé par ceux qui s’y inscrivent plus ponctuellement. Nombre de territoires ont ainsi développé des résidences artistiques. Elles naissent tout autant dans une logique de création et de commandes (inventaires photographiques d’un patrimoine, mise en « mythe » des paysages, …) que dans une logique de rencontre avec la population, notamment à travers la mise en valeur artistique des collectages ; car si d’une part « le territoire produit du culturel, d’autre part le culturel produit du territoire par l’usages d’emblèmes et de symboles " (8).

Souvent pensées comme un outil de développement culturel local, les résidences d’artistes permettent d’abord de fédérer autour d’un créateur des ressources humaines, culturelles et financières qui tendent à une prise de conscience de l’intérêt des « mutualisations ». Chaque résidence a vocation à inciter la mise en œuvre d’une intercommunalité de projet, d’une communauté « poreuse » artistique partagée. Sont alors réunis dans un souhait de co-construction, des acteurs de terrain (opérateurs culturels, sociaux, éducatifs, …) et des collectivités publiques (départements, communes et communautés de communes,…) engagés pour de mêmes objectifs, de mêmes valeurs, mais de nature différente ou géographiquement et sectoriellement dispersés. C’est ce que précise Olivier Pinatelle, responsable culturel de la Communauté de Communes du Val de Drôme : « Transe Express participe au développement local culturel, économique, humain, environnemental. La Gare à coulisses recrute des artistes et entreprises au niveau local et est un laboratoire où s’inventent et se testent des formes qui permettent de mettre en scène l’espace public (…). « Cela montre que la culture a sa place au cœur des enjeux du développement territorial. Elle est un vrai levier économique qui joue sur le lien social » renchérit Marco Félez des Articulteurs, directeur de la coopérative artistique du Pays de Redon en Ile et Vilaine.

C’est lors d’événements, de rencontres, que les artistes résidents rendent ensuite aux habitants un autre regard sur leur territoire (« par leur sensibilité artistique, les artiste montrent notre patrimoine à tous, la forêt, la rivière, d’une autre façon », souligne Olivier Pinatelle) et apportent une autre ouverture d’esprit. « C’est aussi une expérience qui crée des territoires momentanés, où chacun communique avec l’autre dans son temps propre et la singularité de son espace, avec un fil conducteur qui s’impose là, celui de l’acte artistique» (9). Il ne s’agit pas pour l’artiste d’être là où il est prévu, conforme, conventionnel mais de savoir déranger, naviguer vers où il n’est pas attendu. Il ne s’agit pas non plus d’un détournement localiste et culturaliste d’un créateur ou pour un artiste étranger « d’être un salarié du Ministère du Tourisme de son pays », comme se plait à le souligner Kossi Efoui, mais bien plutôt de privilégier l’ouverture, l’écoute réciproque, le partage de savoirs au plus près du local.

Regarder la réalité, s’y confronter, ausculter l’intimité, autant de « nourritures terrestres », enfin, pour des artistes non habitants d’un territoire mais prêts à s‘en nourrir. S'ancrer dans un nouveau territoire, c'est se projeter vers l'autre, « se remettre en question, précise Antonio Placer, Galicien en résidence dans le Dauphiné, chercher son centre d'intérêt, prendre des risques, accepter de se tromper… et d'être jugé. Cette fragilité est une force, la rencontre est vitale. Le Dauphiné était une terre où personne ne voulait aller. Ne venaient là que les déracinés, les prisonniers… J'y ai trouvé une résonance, se souvient-il, et je m'y suis installé. Les rencontres m'ont aidé à créer. La musique m'habite, une nouvelle expérience musicale est née de mon nouveau "chez moi". » C’est pourquoi les résidences d’artistes doivent tenter de concilier activité créatrice de l’artiste (résidence de création) et les attentes réelles ou suggérées des partenaires et de la population (résidence de médiation).

 

L’artiste coopérant. Longtemps opposé à la logique de réseau (10), le territoire a rencontré le besoin de transcender son image d’enfermement et de repli autarcique ; l’on sait en effet comme un projet artistique peut participer à fabriquer du territoire et peut s’y enfermer. Croisant territoires institués, de vie, vécus, distance temporelle, spatiale, sociale ou psychologique, les artistes, les habitants se rencontrent, échangent, s’enrichissent. Mais comment construire cette coopération, comment être ici et partager avec l’ailleurs ? Si les Parcs, de par leurs espaces souvent interdépartementaux, parfois interrégionaux ont cherché à demeurer des territoires ouverts, certains n’ont pu échapper à un isolement voire un enfermement. C’est pourquoi, certes de manière récente, mais dorénavant affirmée (et aidée en cela par différents programmes européens tels Leader et Feder), nombreux sont les territoires qui ont choisi d’engager des coopérations tant à un niveau national qu’européen. Et quoi de plus évident que de débuter par des coopérations artistiques factrices d’échange, de modernité et plus prosaïquement d’économie et d’emploi artistique et culturel. Tel est l’exemple du Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne avec Voix de Traverse, un projet de coopération culturelle avec le Maroc autour de la question des migrations. Ce projet est né avec la communauté marocaine d’ici à partir d’une compagnie artistique, les Manufactures Verbales, et elle a permis un partage et un échange avec la Province d’ElHajeb. « Voix de Traverse a été au départ une convergence de deux cultures liées par l'histoire pour arriver aujourd'hui à un objet culturel et artistique global. Cette action a eu une répercussion territoriale forte. L'artiste devait être révélateur d'identité, a-t-on dit tout à l'heure. Voix de Traverse y a non seulement contribué, elle a mis en évidence comment l'artiste pouvait être un acteur de la politique du territoire », souligne ainsi Jean-Luc Gleyse, Vice-Président du Parc et du Conseil général de la Gironde. Plus près de nous, la coopération des 5 Parcs naturels régionaux du Massif Central (IPAMAC) a permis à des artistes de porter leurs regards sur le sujet sensible de l’accueil et l’intégration des nouveaux habitants, confrontant déclin démographique et revitalisation rurale. « Etre étranger à un territoire, apporter un regard neuf ont été porteurs de réelles interrogations et ont alimenté les réflexions », indique ainsi Nils Brunet Chargé de mission culture au Parc naturel régional des Causses du Quercy, « Il en est ressorti la notion peu évidente de prendre de la hauteur à propos d’un territoire ». Car l’on sait que les résidences et soutiens apportés à la création, les réhabilitations de lieux d’accueil artistique, les coopérations interparcs, interterritoriales, européennes sont tout autant une autre manière de s’adresser à une population résidente que de privilégier la mobilité artistique et de nouvelles ressources pour la création.

 

Si l’artistique et les personnes qui habitent le territoire ont été au cœur de cette rencontre, cette dernière a également mis en valeur non en filigrane mais en rappels incessants trois éléments fondamentaux.

Celui du temps, tout d’abord, car que fait-on après une « action événementielle, avec effet « coup de point ». La prise de conscience, l’illumination se suffit-elle ? ».

Celui de la gouvernance, ensuite. La gouvernance invoquée ici insiste sur la coopération des acteurs publics avec ceux de la sphère privée associative comme économique, si l’on est en capacité de se démarquer d’une conception purement marchande (11). Et dans ce cadre, l’action publique culturelle occupe une place spécifique car « elle permet de dépasser les cloisonnements sectoriels et de rassembler des partenaires qui n’ont pas toujours l’habitude de travailler ensemble » (12). A condition bien entendu qu’elle ne se soit pas elle même enfermée dans une représentation donnée, sectorisée et détenue comme des citadelles imprenables par les acteurs, tant élus que professionnels, qui ont contribué à les mettre en œuvre.

Celui de la médiation participative territoriale enfin, car le repérage sur le territoire, la rencontre des forces en présence, notamment celle des habitants, nécessite d'avoir des relais pour aider l'artiste à mieux s’inscrire dans le territoire et à n’être pas le seul passeur « à qui il ne faut pas trop charger la barque, sa navigation inter-territoriale en étant alors grandement facilitée » (13).

François Pouthier

CC-by-nc-nd

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télécharger le Compte rendu complet « La place de l’artiste dans les projets de territoire », journée technique du mardi 13 octobre 2009 – Parc Naturel Régional des Landes de Gascogne - Le Teich (Gironde)

 

SOURCES ET REMERCIEMENTS


1 - RETAILLE (Denis), Territoires, identités et culture, in Culture et Territoires, de nouveaux acteurs de la décentralisation, Cluny, Actes des Entretiens du CESR 14 mars 2003

2 - Le développement culturel dans les Parcs Naturels Régionaux, texte d’orientation adopté par l’Assemblée générale du 3 mars 1999

3 - Peut-on expérimenter de nouveaux modèles de développement culturel ?, Parc Naturel régional du Pilat, Centre culturel Camiers, 18 et 19 janvier 2001

4 - ROMEAS (Nicolas), Un peuple d’artistes, Observatoire des Politiques Culturelles, La Revue, Grenoble, mai 2008

5 - BONNIEL (Jacques), La dimension artistique des territoires ruraux, in Développement culturel, enjeu artistique et projet de territoire, Revue Champs culturels N°21, 2007, pp. 33-34

6 - FAURE (Alain), Identité locale et développement rural, le « pays » à l’épreuve du monde, in SAEZ (Jean-Pierre) (dir.), Identités, cultures et territoires, Paris, Desclée de Brouwer, 1995

7 - GREFFE (Xavier), La mobilisation des actifs culturel de la France : De l’attractivité culturelle du territoire … à la Nation culturellement attractive, DEPS N°1270, mai 2006

8 - BONERANDI (Emmanuelle), HOCHEDEZ (Camille), Des machines, des vaches et des hommes : projets culturels, acteur et territoires dans une espace rural en cirse : l’exemple de la Thiérache, p. 25-37, in NOROIS, Patrimoine, culture et construction identitaire dans les territoires ruraux, textes réunis par JOUSSEAUME (Valérie), DAVID (Olivier), Revue géographique des Universités de l’Ouest, PUR, N°204, novembre 2007

9 - DESCHAMPS (François), La médiation artistique et culturelle des sites patrimoniaux, article posté sur le site de Culture et Départements le 3 décembre 2009

10 - LEFEBVRE (Alain), La culture entre territoire et territorialité, in Nouveaux territoires de la culture, nouveaux partenariats, le rôle des départements dans la recomposition des politiques culturelles locales, Actes du Colloque national Culture et Départements, 12 et 13 juin 2003, Marseille

11  - Mécénat, sponsoring, parrainage, clubs d’entreprises

12 - AUCLAIR (Elisabeth), Le développement culturel comme outil de promotion d’une identité territoriale, in GRAVARI-BARBAS (Maria), VIOLIER (Philippe), (dir.), Lieux de culture, culture des lieux, production(s) culturelle(s) locale(s) et émergence des lieux, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Coll. Espaces et Territoires, 2003.

13 - LEFEBVRE (Alain), La culture entre territoire et territorialité, in Nouveaux territoires de la culture, nouveaux partenariats, le rôle des départements dans la recomposition des politiques culturelles locales, Actes du Colloque national Culture et Départements, 12 et 13 juin 2003, Marseille

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